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Michel Warlop

  • mercredi 20 décembre 2017
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  • Dans le DP en 2018

Le violon, dans les mondes du jazz, n’a pas bonne réputation sauf lorsqu’il s’agit de Stéphane Grappelli auréolé de sa participation au Quintet du Hot Club de France aux côtés de « Django » Reinhardt, dans ces années trente bouillonnantes.

La notoriété méritée de Stéphane a éclipsé tous les autres violonistes de ce temps. En particulier Michel Warlop (prononcez « ouarlop » comme on le fait dans les Hauts de France).

Natif de Douai, dans le Pas de Calais où il voit le jour le 23 janvier 1911, dans une famille dont le père est pâtissier et la mère pianiste amateur qui le pousse sur le devant de la scène. Michel ne pouvait que fréquenter les bancs du Conservatoire de Douai, le deuxième plus ancien Conservatoire de France. Il sera une bête à concours trustant les prix. Son destin semblait tout tracé, un musicien brûlant les planches des concerts classiques. Ses professeurs lui disaient son admiration et pensaient le compter parmi les 5 meilleurs violonistes.

Rien n’est jamais écrit. Paris allait mettre plusieurs grains de sel. A la fin des années vingt, la Capitale fait briller Montmartre et Montparnasse, des quartiers où règne en maître le jazz. Les « boîtes » de jazz s’étaient multipliées et Warlop va découvrir cette nouvelle musique qui ouvre des voies nouvelles à ces dormeurs, rêveurs impénitents capables de partir pour des voyages immobiles de plus en plus lointains.

Warlop n’y résistera pas. Il sera l’un des compositeurs et chef d’orchestre de ces années trente qui vivent la mort d’un jazz, celui des pionniers des années vingt, remplacé par celui des grands orchestres. Il deviendra la cheville ouvrière de « Gregor et ses Gregorians », violoniste, arrangeur et chef d’orchestre de l’ombre, une sorte de « nègre » musical de Krekor qui ne sait pas lire la musique et ne sait pas mener l’orchestre. Il mime sur scène le chef d’orchestre avec beaucoup de panache, laissant toute la part du travail à Warlop. L’illusion du spectacle !

Krekor est un cas. Il a fui le génocide des Arméniens en Turquie (1915) pour se réfugier en France. Il monte des orchestres qu’il entraîne dans des endroits luxueux ou bizarres. Il perd souvent la paie des musiciens aux casinos qu’il fréquente assidûment et s’enfuit sans demander son reste. Il revient dans une belle voiture blanche et une cape de la même couleur et la machine est relancée. Dans l’ensemble, comme souvent dans ces années là, l’alcool coule à flots.

1933 sera une grande année pour le jazz en France et Michel Warlop y prend toute sa place. Une année dramatique pour le monde. Hitler prend le pouvoir en Allemagne. L’espoir, pourtant n’a pas épuisé ses ressources multiples. 1936 en fera la démonstration. Le jazz sera partie prenante de cette ultime sursaut. En décembre 1937, Warlop enregistrera avec Django deux faces de 78 tours qui montrent sa volonté de créer sans filet. Christmas Swing reste la confrontation de deux génies. Django, avec toute sa science et son instinct, sait tenir tête à ce bouillonnement créatif qui tourbillonne sans fin jusqu’au néant. Un chef d’œuvre qui sera la dernière rencontre en tête-à-tête Django/Warlop.

Le jeu de Michel Warlop s’alimentera de toutes les rencontres. Il n’oubliera pas son style flamboyant de concertiste classique, tout en le mettant au service du jazz qu’il rend différent. Il a envie de donner aux violons le rôle essentiel. Il faudra qu’il attende ces années étranges où tout semble impossible, l’Occupation. Il participe à la « Drôle de guerre ». Il sera, comme beaucoup, fait prisonnier et, libéré – il n’est déjà pas en bonne santé - reviendra à Paris.

Paris vit, par un paradoxe logique, au rythme du jazz. Les concerts sont pleins. Charles Delaunay les organise et enregistre sur son label « Swing ». La radio, « Radio Paris », diffuse du jazz par le biais d’un orchestre dirigé par Raymond Legrand – le père de Michel -, saxophoniste. Warlop arrangera pour cet orchestre notamment un thème bien connu des amateurs de jazz, One O’Clock Jump réintitulé Saut d’une heure.
Dans ces années, son style évolue vers une synthèse « Classique/Jazz ». Il composera un Swing Concerto qui, malgré quelques lourdeurs, indique une nouvelle voie. Elle sera suivie par des jazzmen comme John Lewis – pianiste, animateur du Modern Jazz Quartet – sous le nom de Troisième courant, Third Stream. Des tentatives singulières.

L’apport de Michel Warlop sera manifeste et aura au moins un descendant qui ne s’en vanta jamais beaucoup, André Hodeir, d’abord violoniste dans la lignée plus de Warlop que de Grappelli dont il n’aura jamais l’apparence de facilité ni le swing.

Pendant ces années là, dans un environnement idéologique de contrôle et de conformité, de méfiance, Michel Warlop créera, via un septet – septuor, le français est essentiel dans cette période troublée - composé notamment d’un quatuor de violons, une nouvelle version du swing. « Tempête sur les cordes » est la composition qui révèle le mieux les possibilités collectives du violon. Pour Warlop, ce fut, sans doute, une manière de renouer tous les fils de sa personnalité. Il ne refusait plus son éducation classique, il fusionnait toutes ses passions pour créer un nouvel espace/temps. Il retrouvait ainsi la liberté dans un ensemble contraint, liberté indispensable à la création.

L’Occupation obligeait à fuir la réalité pour continuer de rêver et d’ouvrir le champ des possibles pour dessiner d’autres futurs.

Des futurs qu’il n’aura pas l’occasion de goûter, il meurt le 6 mars 1947, à 36 ans. Plein de regrets de n’avoir pas fait la carrière de concertiste classique. Mais ce sont des regrets qui ressemblent à ces athées qui découvrent la religion à leur mort pour se réserver une petite place dans un monde de néant.

Sa place est au Panthéon du jazz, le « Hall of Fame » comme disent les Américains. Il n’y est pas encore mais il commence à être écouté de nouveau. Sa passion, sa volonté de création ne peuvent pas être ignorées. Jamais il ne cède à la facilité. Même sous les coups de l’alcool, des drogues qu’il consommera toute sa courte vie, l’exigence de créativité est toujours là, empêchant toutes les dérives. La nervosité dont il fait preuve qui le fait jouer de manière heurtée est celle de tous les créateurs qui ont ce trac au ventre qui les empêche de sombrer dans l’habitude. Un proverbe chinois dit très justement, « l’habitude est une mauvaise habitude ». Michel Warlop ne tombera jamais dans la routine. L’entendre fait perdre des repères et oblige à s’interroger sur cette musique appelée jazz et sur le violon, un instrument finalement étrange qui évolue dans des atmosphères pleines de surprises. Celles conçues par Warlop en particulier.

Notice rédigée par Nicolas Béniès, auteur de Le souffle bleu, Le souffle de la liberté et Le souffle de la révolte, tous chez C&F éditions.

Références

  • Michel Warlop, génie du violon swing, Pierre Guingamp, L’Harmattan, Paris, 2011. La première et, pour l’instant la seule biographie du violoniste, 64 ans après sa mort.
  • En complément, dans la collection « Quintessence » (Frémeaux et associés), dirigée par Alain Gerber, Daniel Nevers propose un choix d’enregistrements pour faire connaissance avec le violoniste Michel Warlop, Paris 1933 – 1943.
  • Michel Warlop est aussi présent dans plusieurs enregistrements avec Django Reinhardt.

Il y a peu de vidéos disponibles où l’on voit Michel Warlop.


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