Calendrier de l'avent du domaine public - 2014/2015

Qui s’élèvera dans le domaine public en 2019 ?
Chaque jour de décembre, découvrons le nom d’un auteur dont les œuvres entreront dans le domaine public le 1er janvier 2019.

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Selfie Monkey

  • jeudi 25 décembre 2014
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  • Dans le DP en 2015

Que se passe-t-il lorsqu’un singe se prend en photo en appuyant sur l’objectif d’un appareil laissé sans surveillance par un photographe ?

Beaucoup de choses, si l’on en croit les innombrables commentaires soulevés par ce selfie incongru, dont on a beaucoup parlé à l’été 2014. Comme cet animal est devenu involontairement l’un des plus célèbres ambassadeurs du domaine public, nous avons voulu l’inclure dans le Calendrier de l’Avent 2015. Il est vrai qu’il est révélateur de la fragilité du domaine public et de l’incapacité des humains à imaginer qu’une chose puisse n’appartenir à personne.

L’histoire commence en 2011, lorsque le site Techdirt remarque que cette photographie circule sur Internet avec une mention de copyright : "(C) Carter News Agency". En se renseignant, les journalistes de Techdirt apprennent que cette image a été ramenée de la jungle indonésienne par le photographe animalier David Slater, parti en expédition pour photographier une troupe de macaques noirs. Comme il avait laissé son appareil photo un moment sans surveillance, une femelle du groupe en profita pour jouer avec l’instrument, intriguée par son reflet dans la lentille de l’objectif qu’elle découvrait sans doute pour la première fois. Ses doigts finirent par appuyer sur le déclencheur et il en résulta cet incroyable autoportrait. Slater ramena ensuite ce cliché dont il céda ses droits à l’Agence de presse Carter.

L’article de Techdirt déclencha une vive polémique à propos du statut juridique de cette photographie. Les journalistes du site affirmaient que la mention de copyright était sans valeur, étant donné qu’un singe ne pouvait être reconnu comme « l’auteur d’une œuvre ». Mais dans les commentaires de l’article, plusieurs internautes affirmaient que cette photo avait au contraire un propriétaire. Certains estimaient que les droits devaient revenir à l’État indonésien, étant donné que le singe vivait dans un parc naturel, propriété publique. D’autres se demandaient si ce macaque ne pouvait pas être considéré comme un « employé », dont le photographe aurait utilisé les services. Certains faisaient remarquer que l’appareil photo était propriété de David Slater et que celle-ci devait donc logiquement se communiquer au cliché.

L’affaire prit une vilaine tournure lorsque l’agence Carter fit valoir son copyright pour exiger que Techdirt retire la photo de son site. Dans la foulée, David Slater intervint lui-même dans la discussion pour expliquer qu’il avait intentionnellement laissé traîner son appareil afin que les singes s’en emparent et prennent des photos, en ayant procédé à des réglages particuliers pour prendre les meilleures clichés possibles dans ces circonstances. En procédant à ces réglages, il aurait imprimé son empreinte indirectement sur la photo, ce qui lui conférerait un droit d’auteur quand bien même il n’avait pas appuyé lui-même sur le déclencheur. Slater finit par menacer Techdirt d’un procès, sans mettre toutefois sa menace à exécution.

L’affaire s’apaisa pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’en août 2014, un internaute chargea cette photographie sur Wikimedia Commons, la banque d’images alimentant l’encyclopédie Wikipédia, sans créditer Slater de la qualité d’auteur. Le photographe réagit en exigeant que la photo soit retirée pour violation de ses droits, mais la Wikimedia Foundation refusa, estimant cette revendication fantaisiste. Le journal The Telegraph commenta alors l’affaire en écrivant que la fondation considérait que c’était le singe et non l’humain qui possédait les droits sur cette photo.

Cette manière de présenter les choses était inexacte, car les wikipédiens affirmaient que la photo appartenait au domaine public. Mais l’incongruité de l’article du Telegraph attira à nouveau l’attention sur la photographie qui, en pleine mode du selfie, se retrouva sur tous les journaux de la planète. Devant un tel buzz, le Copyright Office américain lui-même finit par se joindre à la discussion, en indiquant dans un rapport qu’il n’accepterait pas d’enregistrer « de travaux produits par la nature, les animaux ou les plantes. » Cela revenait à laisser entendre que cette photo appartenait bien au domaine public, c’est-à-dire à tout le monde et à personne à la fois.

Le commentaire le plus intéressant écrit à propos de cette affaire est sans doute celui de Sherwin Siy sur le site Public Knowledge. Il remarque en effet que dans cette polémique, beaucoup de personnes pensaient que cette photo devait nécessairement appartenir à quelqu’un. Si les droits n’appartenaient pas au photographe, beaucoup étaient prêts à accepter qu’ils devaient être attribués à un singe, même si une telle hypothèse est absurde. S’il en est ainsi selon Sherwin Siy, c’est que nous sommes conditionnés à penser que toute forme de création doit nécessairement avoir un titulaire de droits, à tel point qu’il nous est devenu difficile d’imaginer une œuvre qui appartiendrait à tous.

En cela, le Monkey Selfie mérite bien d’être devenu une véritable icône du domaine public. Il en illustre la fragilité et sa difficulté à exister dans un monde imprégné d’une idéologie propriétaire omniprésente.

L’histoire de cette image n’est d’ailleurs pas finie. En novembre 2014, quelqu’un tenta de s’approprier l’apparence du singe en la déposant comme marque afin de vendre des T-Shirts. Pire encore, il y a quelques semaines, David Slater est revenu à la charge pour affirmer à nouveau ses droits sur la photo. Il a menacé le site Public Knowledge de procès pour usage illicite du cliché, en exigeant au passage que l’article écrit par Sherwin Siy soit réécrit selon sa volonté !

Quelque part dans la jungle indonésienne, la femelle macaque qui a déclenché toute cette polémique doit bien rire de nous. Le sourire de l’animal sur la photo renvoie en définitive à la folie des hommes lorsqu’ils cèdent sans mesure au démon de l’appropriation…


Article Wikipédia : L’article en anglais "Animal-made art"


Domaine public

En droit pur, on ne peut encore affirmer à 100% que cette photo est dans le domaine public, même s’il y a de très fortes raisons de le penser, notamment après la prise de position du Copyright Office américain. Mais celui-ci n’est pas une juridiction et seul un jugement permettrait d’avoir une certitude définitive concernant le statut juridique de cette image. Néanmoins, vu l’attitude belliqueuse du photographe David Slater, il est probable que cette histoire finisse tôt ou tard au tribunal…


C'est permis !

Malgré les incertitudes entourant cette image, celle-ci est déjà quasiment devenue un mème sur Internet où elle a été remixée à toutes les sauces. Sachez que vous pouvez même en commander une version imprimée en 3D sur le site Shapeways (où elle est hélas copyfraudée…) !


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